mercredi 9 mars 2011

Tunisie : Facebook révolution !?


MEDIAPART/WISTIC

Une bonne et une mauvaise nouvelle pour les utilisateurs de facebook qui, plutôt que Twitter ou même Wikileaks, a fortement contribué à la mobilisation tunisienne.

Fabrice Ebelpoin, éditeur de ReadWriteWeb francophone, affirme que Facebook a été l'"outil de support opérationnel à la révolution Tunisienne". Pourtant, jusque là, Facebook n'avait pas brillé par son sens du respect de la vie privée. On a récemment montré que Mark Zuckerberg, son fondateur, avait piraté la base de données de Harvard pour créer un site permettant de noter les photos des étudiantes de son université ; puis, il aurait piraté les comptes d'email de ses collaborateurs, en créant the facebook pour son compte, alors qu'il était associé pour créer le réseau social Connect U. Les plaintes de ses utilisateurs pour non respect de la vie privée dans Facebook sont légion, et je vous conseille personnellement de vérifier régulièrement ce qui apparaît sur votre profil public.Dans cette lignée, la mauvaise nouvelle, c'est que votre numéro de téléphone et votre adresse peuvent maintenant être transmis aux entreprises, dès lors que vous acceptez de participer à un quiz par exemple.

Comment alors un réseau social comme facebook a-t-il pu aider les tunisiens à se libérer de Ben Ali en utilisant un outil qui joue le rôle de Big Brother à l'instar de Google ? Le paradoxe réside dans le fait que les services de surveillance tunisiens ont eu du mal à censurer ce réseau qui joue aussi un rôle commercial important. D'une part, facebook offre un espace d'expression semi-privé, puisqu'il est possible de prendre un pseudo et d'intervenir sur des groupes restreints, à partir des login de personnes rencontrées par exemple. D'autre part, les outils linguistiques de filtrage et d'analyse de vos profils facebook maîtrisent assez mal l'arabe contrairement à l'anglais. Enfin, le nombre de caractères n'est pas réduit, ce qui permettrait aux tunisiens de s'épancher d'autant plus que les conversations, et a fortiori les écrits, ne sont pas en Tunisie à l'abri des services de renseignement. Enfin, facebook permet aussi de rencontrer des personnes aux goûts similaires ne partageant pas la même nationalité. Enfin, l'entreprise, au courant a résisté à certaines pressions qui visaient à supprimer certains comptes anti Ben Ali.

Face à cet engouement, les services de renseignement tunisiens n'ont pas été passifs : signalements de comptes, fausses discussions (trolls), accusations d'islamisme, vols d'identifiants, espionnage avec la complicité des fournisseurs d'accès internet...c'était sans compter la persévérance des tunisiens, qui pouvaient aussi compter sur la solidarité d'autres internautes pour transmettre des informations ou écrire des scripts pour protéger sa vie privée. Par exemple les Anonymous qui trouvent visiblement leur inspiration sur un texte de la rappeuse Kenny Arkana.

En comparaison, Wikileaks est peu intervenu sur la scène tunisienn, étant donné que les journaux qui restituaient ces câbles n'étaient pas forcément accessibles en Tunisie, comme Médiapart par exemple. Certains câbles éclairants ont cependant circulé, comme celui du 7 décembre dernier, mais la chronologie montre qu'ils ont plus éclairé le spectateur qui n'était pas en Tunisie.

Les blogs ont joué aussi un rôle très important. En 2009, 151 blogueurs et cyberdissidents étaient emprisonnés en Tunisie ; en vain. D'autres sites ont semble-t-il joué un rôle très important, comme nawaat.org qui propose un "noyau" des documents sur la contestation.

Twitter a aussi joué un rôle tardif, tout en sollicitant les observateurs internationaux comme en Iran. Cependant, il a souvent été couvert par le bruit, tout en assurant la coordination, par exemple lorsque les tweets ont circulé pour savoir si l'avion de Ben Ali allait atterir au Bourget ou bien à Villacoublay, avant que l'on apprenne qu'une partie de sa famille était hébergée dans l'hôtel de Disneyland.

Pour ma part, je dirais que les réseaux sociaux ont favorisé la volonté de libération des tunisiens par eux-mêmes à l'aide de la réflexivité : ce phénomène permet à un peuple d'avoir une représentation de lui-même et du même coup, de modifier son action et donc son image. L'information réflexive est, dans la révolution tunisienne, le nerf de la guerre pour la liberté et le droit.

Il faudra sans doute attendre plusieurs mois pour que les sociologues publient leurs études sur ce qui est peut-être une "facebook revolution"... à condition, cependant, que les tunisiens confirment l'essai, ce qui ne se fera pas sans mille efforts. Je pense, pour ma part, que la réflexivité des réseaux sociaux devrait continuer à favoriser un rééquilibrage de la société tunisienne.