Nizar BAHLOUL,Businessnews.Trois jours nous séparent de la séance unique. Définition de la séance unique pour les lecteurs non tunisiens : les salariés de l’administration et de l’écrasante majorité des entreprises privées travaillent la moitié d’une journée en touchant l’intégralité de leurs indemnités. Cette séance unique est pratiquée du 1er juillet au 31 août de chaque année et au cours du mois de Ramadan (calendrier lunaire) qui coïncide, en 2008, avec le mois de septembre. Soit trois mois par an d’activité à mi-temps auxquels il faut ajouter un mois d’inactivité totale sous forme de congé annuel.
Comme le fait remarquer un industriel (dont l’usine fonctionne 24h/24 et 365j/an), tous les quatre ans, la Tunisie perd un an de travail.La motivation de la séance unique est la forte chaleur que connait le pays empêchant certaines gens de travailler. Les pays du Nord font de l’hibernation, les pays du Sud font de la séance unique.
Cette tradition, on la doit à un Français de l’époque du protectorat. Un Corse précisément. La saison des fortes chaleurs a insufflé à ce Corse l’idée d’octroyer un revenu aux salariés français pour observer une sieste et revenir, le lendemain, frais et actifs.C’était sans compter avec la chaleur nocturne empêchant les gens de dormir. Ils se trouvent donc « obligés » d’aller festoyer le soir. Et comme ils ont piqué une belle sieste, ils ont obligatoirement des forces pour attaquer la nuit, en allant aux festivals, aux bords des corniches et autour des fontaines. Le hic, c’est qu’à l’aube, ils se retrouvent fatigués et vont somnolents au boulot, attendant impatiemment les 14 heures pour rentrer chez eux observer la sieste de nouveau.
En résumé, donc, on est payé le matin pour faire semblant de travailler (somnolence oblige ! On ne peut pas travailler normalement) et on est payé l’après-midi pour dormir. Mieux encore ! Alors que la séance unique est motivée par la question de la chaleur, il se trouve que l’écrasante majorité de ceux qui l’observent ont des climatiseurs dans leur bureau, dans leur maison et dans leur voiture. En clair, on somnole et on dort en profitant d’un air des plus frais.
Ce grand luxe de la séance unique et de la clim n’est cependant pas valable pour tout le monde. Je connais un tas de gens qui n’observent pas la séance unique et qui continuent à trouver aberrant d’être payés pour ne rien faire. Juillet et août, pour eux, sont des mois comme les autres où l’on doit travailler le matin et l’après-midi. Je ne parle pas des salariés de Poulina, de Microsoft Tunisie ou de Tunisiana. Ceux-là, ils sont bien au frais, ils sont bien payés et sont consciencieux au boulot en majorité. Je pense aux policiers qui, sous un soleil de plomb continuent à essayer de rendre fluide une circulation impossible.Je pense aux maçons et autres ouvriers sur chantier qui continuent à construire des buildings en dépit des 40-45 degrés. Des tas et des tas de professions ne peuvent se permettre la séance unique, n’ont pas de climatiseur et continuent à travailler sans rouspéter.
J’ai du coup l’impression que le pays se noie dans une sorte de schizophrénie et roule à de multiples vitesses. On nous parle d’économie d’énergie, mais tout le monde s’équipe en climatiseurs. On nous parle de la nécessité de travailler, de serrer la ceinture et de faire des sacrifices à cause du prix du pétrole et de la mondialisation, mais on ne veut se priver d’aucun confort. L’administration tunisienne est la première à nous demander des sacrifices, mais s’abstient, elle, d’en faire !Idem pour les banques, acteur majeur de l’économie, qui s’imposent d’énormes frais de gestion (payés par les clients via des commissions onéreuses et des intérêts élevés), imposent leur diktat aux demandeurs de crédit, mais refusent d’imposer un quelconque désagrément à leurs salariés. Résultat des courses : on a des entreprises à qui on demande d’affronter la mondialisation, les Européens, les Asiatiques et les Américains et qui, en dépit de toute leur bonne volonté, se retrouvent handicapées et lésées à cause d’un système archaïque et anachronique dont elles ne sont pas directement responsables.La mondialisation, la concurrence, la mise à niveau, c’est l’affaire de tous. On ne peut, aujourd’hui et au vu de la conjoncture actuelle (que je ne voudrai pas qualifier de dramatique), continuer à fonctionner à des vitesses multiples avec les uns qui travaillent dix et douze heures par jour et d’autres qui regardent constamment l’horloge pour partir observer la sieste de 14 heures. Cette séance unique devient vraiment cynique !
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