mardi 16 septembre 2008

France : Edvige et Cristina,exhibition pour tous ou rasoir privatif ?

www.vivagora.org.ChristopheVerdier. Edvige et Cristina, les deux fichiers de données personnelles créées au début de l’été 2008 par le gouvernement, ont été présentés dans les médias comme les derniers rejetons de la politique sécuritaire made in France, une politique nécessaire pour les uns dans le cadre de la lutte contre la délinquance et le terrorisme depuis le 11 Septembre, abusive et attentatoire aux libertés pour les autres. Mais ne s’inscrivent-ils pas en fait dans le climat de surveillance généralisée qui profite des développements des technologies informatiques, de communication et d’Internet ?
Edvige (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale) a été créé par un décret du 27 juin 2008 parallèlement à la fusion des Renseignements généraux et de la Direction de la surveillance du territoire (DST) en Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Il comporte des données personnelles concernant les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, l’appartenance syndicale, et, « de manière exceptionnelle » suite aux réserves émises le 16 juin par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), la santé ou… la vie sexuelle.
Tous fichés ! Seront concernées toutes les personnes « ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif » et, bien entendu, les individus et les organisations « susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ». Les mineurs concernés par cette dernière disposition seront fichés dès l’âge de 13 ans, pour une durée indéterminée.
Quant à Cristina (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux), créé aussi le 27 juin 2008, il fusionne les fichiers actuels de la DST et des renseignements généraux dans une optique de lutte contre le terrorisme. Classés secret-défense, ses principes restent inconnus. La CNIL lui a donné un « avis favorable avec réserves », mais sans avoir le droit de publier ses commentaires.
Certains s’étonnent d’un ton faussement naïf : quelles différences entre ces fichiers et les bonnes vieilles méthodes d’identification, telles que la carte d’identité ou le fichage des ex-renseignements généraux, voire même le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui conserve pendant 25 ans l’ADN des personnes soupçonnées de petits délits ? La CNIL a déjà souligné le caractère choquant du fichage de mineurs, puisque qu’il pourra les poursuivre et les cataloguer durant leur vie d’adulte en freinant notamment leur accès à certains emplois, et celui des origines ethniques, qui peut déboucher sur des discriminations racistes. L’autre énorme différence avec les pratiques anciennes est la compilation de données personnelles quasi exhaustives concernant un très grand nombre de gens, fichés à leur insu et sans même qu’une quelconque infraction ait été commise.
Le site de la pétition « Non à Edvige ! », lancée en juin dernier à l’initiative, entre autres, de la Ligue des droits de l’homme et de plusieurs syndicats, résume les principales critiques portées contre Edvige. Cette pétition a réuni plus de 140 000 signatures, dont celles de plus de 750 organisations. Le gouvernement ne sait lui-même plus sur quel pied danser, puisque le ministre de la défense Hervé Morin et la secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme Rama Yade ont tous deux évoqué, un curieux mélange des genres pour l’un, des doutes pour l’autre, si bien que Nicolas Sarkozy a demandé à la ministre de l’Intérieur d’ouvrir rapidement une concertation, qui devra être suivie « de décisions pour protéger les libertés ».
Surveillants généraux Le caractère insidieux de l’informatique ambiante nous plonge lentement, sans que nous nous en rendions compte, dans cette surveillance généralisée. Saadi Lahlou, sociologue au Centre Edgar Morin de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et directeur du Laboratoire de design cognitif d’EDF R&D, nous le rappelle utilement dans un article de la revue Social Sciences Information.
Selon S. Lahlou, l’informatique ubiquitaire, que l’on trouve dans de nombreux objets de la vie quotidienne et dans tous les objets communicants, alliée à la puissance des bases de données et des moteurs de recherche d’Internet, autorise le traçage continu des actions et des itinéraires des individus. Il explique ainsi comment certains systèmes de géolocalisation peuvent produire un compte-rendu détaillé de la journée d’un individu, noter ses comportements habituels ou inhabituels et ainsi prédire ses futurs trajets. Le chercheur note que de tels dispositifs vont au-delà du cauchemar anticipé par George Orwell dans « 1984 » puisqu’ils sont capables non seulement de savoir ce que vous faites « mais aussi de chercher, comparer, analyser, identifier, raisonner et prédire - automatiquement et sur une base continue ».
Prônant une attitude constructive et engagée des sciences sociales dans le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), le chercheur plaide pour que les concepteurs des systèmes mettent en place des garde-fous techniques. Il propose une série de lignes directrices en ce sens, parmi lesquelles le « rasoir privatif » : définir un système de manière à n’obtenir que les données strictement utiles au but poursuivi ; par exemple vendre un billet d’avion ne justifie plus d’obtenir l’identité de l’acheteur. Evidemment, les utilisateurs doivent prendre l’habitude de se protéger en évitant l’usage banalisé des sites comme Face book avec ses 100 millions d’utilisateurs ! Un dilemme entre jouer, se faire valoir et rester discret !
Références Décret n° 2008-632 du 27 juin 2008 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE », J.O. 1er juillet 2008. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=IOCC0815681D
Non à EDVIGE http://nonaedvige.ras.eu.org/
Délibération n° 2008-174 du 16 juin 2008 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat portant création au profit de la direction centrale de la sécurité publique d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE » http://www.cnil.fr/index.php?id=2488&news[uid]=569&cHash=2e101fe0ec http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019104139&dateTexte=&fastPos=3&fastReqId=1695854358&oldAction=rechTexte
S. Lahlou, Identity, social status, privacy and face-keeping in digital society, Social Science Information, Numéro spécial : Technologies cognitives, SAGE Publications 2008, septembre 2008.

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